Ouvert depuis mai 2023, le Pôle Santé Magellan est un centre de santé intégrative situé dans l’agglomération de Clermont-Ferrand. Fondé par la psychologue clinicienne et onco-psychologue Claire Prasloix, le Pôle rassemble aujourd’hui une dizaine de praticien-ne-s de santé conventionnels et complémentaires. Il propose d’accompagner des patient-e-s souffrant du cancer et leurs aidant-e-s, ainsi que des patient-e-s souffrant de pathologies chroniques, d’addictions et les femmes autour de la périnatalité.
Après quelques mois de correspondance avec Claire Prasloix, nous nous rencontrons brièvement au Colloque Santé intégrative de Health United en mars 2024. Nous décidons de planifier un entretien plus long avec des membres de son équipe. Quelques semaines plus tard, je rencontre ainsi Claire Prasloix et Carole Marais Enjolras, infirmière et naturopathe, pour une conversation sans détours et pleine d’authenticité, sur leurs parcours, leurs défis et leurs espoirs.
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Le partage d’une vision globale et coordonnée
Psychologue de formation, Claire Prasloix a travaillé pendant une dizaine d’années au Centre de lutte contre le cancer (CLCC) Jean Perrin à Clermont-Ferrand, dans le service de psycho-oncologie, en parallèle de sa pratique en libéral. Dans ses formations et son accompagnement, Claire a toujours eu à cœur d’explorer différentes approches du prendre soin ; elle s’est notamment initiée à l’approche systémique, la thérapie existentielle, la neuropsychologie, l’onco-psychologie… De toutes ces approches, une intention et une conviction fortes ont émergé en elle : l’importance d’accompagner les personnes en souffrance dans leur globalité.
De toutes ces approches, une intention et une conviction fortes ont émergé en elle : l’importance d’accompagner les personnes en souffrance dans leur globalité.
De son parcours professionnel est né par ailleurs le constat qu’il manquait souvent de la coordination et de la coopération entre les équipes. « Il existe bien sûr des échanges entre les équipes pluridisciplinaires en hôpital, qui se font lors des Réunions de concertation disciplinaire, mais la notion de coordination et de co-construction d'un parcours de soin n'y est pas développée ». Cette observation était encore plus flagrante dans sa pratique libérale : dans les cabinets pluridisciplinaires où Claire a exercé, les praticiens se croisaient mais ne travaillaient pas ensemble, l’offre de soins restait en silo.
Forte de cette vision et de ce constat, Claire débute en 2022 le développement d’un projet en santé intégrative, le Pôle Santé Magellan. Carole Marais Enjolras, infirmière et naturopathe, dont elle avait déjà croisé le chemin au Centre Jean Perrin, est la première personne à rejoindre le Pôle. Convaincue que l’approche globale en naturopathie est en alignement avec ses valeurs et sa vision de l’accompagnement en santé, il lui semble évident qu’il faut un-e naturopathe dans son équipe : Claire ajoute même qu’à ses yeux, « c’était le point de départ ». Au fur et à mesure, elle s’entoure d’autres praticien-ne-s de santé engagés dans cette démarche : diététiciens, ergothérapeute, sophrologue, kinésithérapeute spécialisé sur l’accompagnement de la femme, médecin homéopathe, médecin psychiatre, ostéopathe se joignent à elle… Rassemblant aujourd’hui une dizaine de praticien-ne-s, la structure célèbre son premier anniversaire au mois de mai 2024.
Convaincue que l’approche globale en naturopathie est en alignement avec ses valeurs et sa vision de l’accompagnement en santé, il lui semble évident qu’il faut un-e naturopathe dans son équipe : « c’était le point de départ ».
Dans son projet, le Pôle Santé Magellan met en place des parcours d’oncologie intégrative et se positionne plutôt dans l’après-cancer. Il peut lui arriver de recevoir des demandes de patients en cours de traitement qui ne trouvent pas dans leurs structures d’accompagnement les soins de support recherchés.
Le cœur des soignant-e-s et les valeurs du soin
Carole Marais Enjolras est infirmière de métier depuis 25 ans. « J’ai découvert l’oncologie à l’âge de 15 ans. Une amie de lycée venait d’apprendre qu’elle avait un cancer. Je lui rendais visite à l’hôpital, j’ai été témoin de son parcours, de ses interrogations, ses peurs et ses espoirs », me déclare-t-elle. Carole a travaillé en oncologie principalement au Centre Jean Perrin et a évolué au sein de différents services : autant à l’étape du diagnostic - avec des temps d’accompagnement soignants - jusqu’aux soins palliatifs en passant par le bloc opératoire, la réanimation, la curiethérapie, et surtout, dans le service de médecine avec l’hôpital de jour. Elle dispose ainsi d’une vision globale de l’oncologie adulte. À l’instar de Claire Prasloix, Carole perçoit qu’elle avait depuis longtemps une vision de l’accompagnement et du soin un peu différente de celle de ses pairs : l’approche holistique et l’amélioration de la qualité de vie lui sont chères. Elle était connue au Centre Jean Perrin pour être l’infirmière « à qui l’on peut poser toutes les questions, à avoir des conseils et astuces en phytologie, aromatologie etc. J’ai baigné dans ce domaine pendant mon enfance », ajoute-t-elle. Puis, avant de s’en éloigner un peu, après certaines épreuves de vie, elle est revenue à ce qu’elle connaissait de mieux en se formant à la naturopathie. « Cette voie trouvée était une évidence : je reliais deux approches de la santé qui font sens pour moi ».
« L’Institut Rafaël est venu réveiller mon cœur de soignante et réanimer les valeurs que j'avais du soin »
Si au début de sa formation de naturopathe, Carole a voulu prendre un peu de distance vis-à-vis de l’oncologie et de son rôle de soignant, elle s’est finalement intéressée à la littérature scientifique sur l’accompagnement naturopathique en oncologie. Cela lui a permis de découvrir l’Institut Rafaël, le centre européen de médecine intégrative fondé par le Dr Alain Toledano et qui accompagne gratuitement les patient-e-s et leurs aidant-e-s, pendant et après le cancer. Basé aux portes de Paris, ce lieu propose de passer d’une médecine centrée sur la maladie à une médecine centrée sur l’individu et son projet de vie. Pour Carole, « l’Institut Rafaël est venu réveiller [s]on cœur de soignante et réanimer les valeurs qu’[elle avait] du soin ». Et l’oncologie est ainsi revenue au-devant de la scène. Elle a effectué à l’Institut Rafaël son stage de fin de formation, y rencontrant ainsi les naturopathes qui y exerçaient. « Dans le même temps, Claire montait le Pôle Santé Magellan : l’aventure était trop belle pour la manquer et je l’ai donc rejointe après ma formation ».
Un nouveau regard sur la réflexologie plantaire
Au cours de sa formation en naturopathie, Carole s’est initiée à la réflexologie plantaire dont elle avait une vision très limitée au départ. « Je suis passée de ‘j’ai des doutes’ à ‘je suis convaincue’. Surtout, cette pratique a remis du sens dans le prendre soin avec les mains. En tant qu’infirmière, la notion de prendre soin passe souvent par des gestes invasifs, désagréables voire parfois douloureux (pose de cathéter, injection intramusculaires, sous-cutanées…), ça ne faisait plus sens pour moi ! J’ai pu trouver grâce à la réflexologie une façon d’allier le travail de mes mains avec le soin et la douceur ». Carole a approfondi ses connaissances en réflexologie plantaire comme soin de support et s’est spécialisée en se formant par ailleurs sur l’accompagnement naturopathique en oncologie.
L’accompagnement en naturopathie
Claire Prasloix et Carole Marais Enjolras en sont convaincues : ce qui est réalisé à l’Institut Rafaël ou dans les Centres Ressources – fondés par le Dr Jean-Loup Mouysset et présents à Aix-en-Provence et Lyon – est réalisable également à Clermont-Ferrand. Carole ajoute : « Il n’y a aucune raison que les choses ne se fassent pas en bonne intelligence. Et j’aime croire qu’un médecin cancérologue que je connais personnellement et avec qui j’ai travaillé aura la confiance d’orienter vers moi un patient qu’il accompagne : mon sérieux et mon professionnalisme restent les mêmes avec ma casquette de naturopathe ».
« Ce que j’aimerais, c’est de ne pas me cacher en tant que naturopathe. Et j’y travaille », confie-t-elle. Carole s’est entourée d’une avocate pour être en conformité dans sa pratique. Sur sa plaque professionnelle, ses deux fonctions d’infirmière et de naturopathe sont indiquées. « Je suis mon expérience professionnelle et personnelle. Quand je suis en consultation, je suis un tout, je ne peux pas me dissocier ». Elle explique par ailleurs que dans les rendez-vous avec les professionnels de santé, les patients ne disent pas la moitié de ce qu’ils font : « Ils en parlent à l’infirmière mais ne disent pas tout au médecin, c’est une réalité de terrain ». Carole insiste : elle invite systématiquement les personnes qui la consultent à dire à leurs médecins et oncologues qu’elles vont la voir.
Avec autant de fierté que d’humilité, Carole me décrit l’accompagnement d’une personne souffrant d’un cancer ORL et ayant subi un remaniement important au niveau de la face. Passée par la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie, la maladie est présente mais dans un état stationnaire lorsque cette personne vient la consulter. Le risque hémorragique est fortement présent et les tissus, inflammatoires, sont trop fragiles pour qu’elles puissent être cautérisées. Face à cette personne qui présente un tableau clinique lourd, Carole se sent devant un véritable challenge dans l’accompagnement. Ses préconisations en naturopathie, incluant notamment des champignons thérapeutiques et de l’hydrolat de ciste, lui ont finalement permis au bout de 3 semaines de ne plus déglutir de sang. Trois mois après, le patient s’était rendu à son rendez-vous avec le médecin ORL pour la fibroscopie. L’auscultation a permis de constater qu’il n’y avait effectivement plus d’hémorragie et que les tissus s’étaient régénérés : c'était pour lui une amélioration de la qualité de vie et surtout une grande satisfaction, car il ne vivait plus avec cette peur d’hémorragie.
Les défis à relever
Aujourd’hui, les personnes qui consultent Carole pour un accompagnement complémentaire à l’oncologie lui sont recommandées par d’ancien-ne-s collègues du Centre Jean Perrin, et viennent parce qu’elle est infirmière et que cela les rassure. Si ces réorientations vers la naturopathie sont encore éparses, elle constate qu’il y a une forme d’intérêt malgré tout naissante. « La difficulté, c’est de communiquer sur ma pratique, de montrer qui je suis et ce que je propose, en tout cas pour moi qui étais une bonne fourmi travailleuse mais très discrète. La naturopathie est par ailleurs décriée par certains. Il est important de montrer qu’il est possible d’avoir une démarche qualitative, réfléchie et intégrée dans un parcours de soin allopathique. Aujourd’hui, il faut être présent sur les réseaux sociaux, être dans la démonstration de ce que l’on peut faire ».
Du point de vue du Pôle Santé Magellan, Claire Prasloix insiste sur le besoin de transparence et la nécessité d’être visible. Quand elle a monté le Pôle Santé Magellan, « l’intention et le choix étaient d’être en centre-ville, à proximité du CHU et du centre Jean Perrin, justement pour assumer cette part et cette volonté d’interagir en partenariat ». Aujourd’hui, les patient-e-s viennent indépendamment de l’hôpital ou du Centre Jean Perrin. Mais l’objectif du Pôle Santé Magellan est clair : il est de nouer des partenariats avec l’hôpital ou les services concernés pour qu’il y ait un adressage direct et un balisage du parcours dans la suite de la prise en charge. Claire y travaille mais ce n’est pas si simple. Elle réalise que le réseau est nécessaire mais pas suffisant. « Quand je croise des collègues ou anciens médecins que je connais très bien, ils me disent que c’est un super projet, mais quand il s’agit de passer à l’action, c’est plus compliqué ».
Claire précise qu’aujourd’hui, avec les principaux établissements de santé de Clermont-Ferrand, un collectif vient d'être créé afin de mieux coordonner les soins en santé intégrative, développer un langage commun et lutter contre les dérives, à l'aide notamment d'une Charte de bonnes pratiques.
Comme pour beaucoup d’autres initiatives en France, l’autre frein rencontré par le Pôle Santé Magellan est la question du financement. Cet écueil a été très justement évoqué lors du Colloque Santé intégrative de Health United en mars 2024. Au Pôle, certains soins en kinésithérapie, en nutrition ou en onco-psychologie par exemple peuvent faire l’objet d’une prise en charge partielle par l’Assurance maladie. En revanche, pour les autres soins, il y a un reste à charge pour les patients. Quelques mutuelles peuvent être sollicitées mais cela reste encore anecdotique.
L’engagement et le discours de Claire restent toutefois pleins d’espoir et de détermination. Si la structure est encore très récente, l’équipe sait d’ailleurs déjà comment elle va mettre en place des outils d’évaluation et de recherche, pour mettre en avant les bénéfices sur la qualité de vie et convaincre ainsi les structures avec lesquelles elle va pouvoir créer des partenariats.
L’équipe peut également s’appuyer sur d’autres éléments qu’elle considère comme des facteurs de réussite ou en tout cas des facteurs de confiance : une équipe pluridisciplinaire, alliant la médecine et les pratiques complémentaires, agissant en transversalité, avec une vision globale, tout cela rassure leurs patients. Par ailleurs, les profils des soignants, avec des parcours montrant toujours une connaissance scientifique de l’oncologie et une compréhension des enjeux humains donne confiance… « Il y a des choses qu’il n’y a pas besoin d’expliquer parce qu’on saisit : le type de cancer, le type de traitement, le parcours à suivre… Il y a aussi des choses que le patient vient déposer et que l’on peut accueillir parce qu’on comprend : les répercussions que ça peut avoir physiquement, psychologiquement, de ce qu’ils peuvent vivre…. C’est aussi tout cela qu’on peut leur apporter ».
Un projet qui s’inscrit dans un mouvement de fond
Claire Prasloix est heureuse de faire partie de ce mouvement en plein développement en France. La médecine intégrative est pour elle un changement de paradigme certain de la vision médicale et de la médecine. « Je pense que toutes ces initiatives et cette convergence amèneront à une évolution de la prise en charge des patients. Cela est nécessaire, il y a encore tellement à faire ». Pour Carole Marais Enjolras, ce mouvement dépasse même l’approche médicale ou complémentaire du soin : « Chaque personne qui intervient dans le processus d’accompagnement, quelle que soit sa fonction, doit être porteur d’une valeur d’humanité : c’est une mission de vie qui dépasse l’accompagnant. Il y a une forme de don de soi. La santé intégrative, ce n’est pas juste un terme intéressant et émergent. C’est une mission de service ».
« Je crois en l'intelligence collective pour développer une médecine et des soins plus humanistes, ensemble avec les médecins, les soignants, et les praticiens du bien-être »
Claire Prasloix a rejoint récemment l’Association Française d’Oncologie Intégrative (SFOI) initiée par le Dr Alain Toledano. À sa première réunion, Claire s’est sentie au bon endroit : elle était en alignement avec les valeurs présentées par le projet. Repensant au Pôle Santé Magellan, elle se dit : « Même si cela ne va pas assez vite à notre goût, je suis assez confiante dans nos projets. Je crois en l'intelligence collective pour développer une médecine et des soins plus humanistes, ensemble avec les médecins, les soignants, et les praticiens du bien-être ».
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