*Cette publication est la suite de l’article que vous trouverez sur ce lien – je copie les propos introductifs pour situer le contexte.*
Le 9e Colloque de la Santé Intégrative, organisé par l’association Health United, s’est tenu les 2 et 3 juin 2023 au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). J’ai eu le plaisir d’y assister et de rejoindre une communauté d’acteurs et d’actrices engagés pour une santé intégrative et pour une médecine encore plus dans l’écoute, dans l’ouverture et dans la synergie. Deux journées intenses et denses, rythmées par des tables rondes et présentations au cours desquelles l’auditoire a pu constater l’ampleur des défis à relever, mais aussi et surtout l’enthousiasme, la passion et l’engagement autour de cette dynamique intégrative.
L’intention de cette publication n’est pas d’être exhaustive sur ce qui s’est déroulé pendant ces deux jours ; elle ne saurait l’être, tant la richesse et la qualité des échanges exigeraient des Actes de plusieurs pages. Ce que je vous propose, c’est plutôt un aperçu des idées, des messages et des initiatives qui m’ont semblé clés, qui ont été pour moi phares et qui m’ont particulièrement touché. Je ne mentionnerai donc certainement pas toutes celles et tous ceux qui ont pris la parole, et mon filtre sera évidemment présent, mais le partage du programme complet vous donnera un aperçu des thèmes abordés, et la publication de cet article, à sa manière, rendra honneur aux personnes qui les ont portés.
Avant d’aller plus loin, merci à Isabelle Celestin-Lhopiteau, aux équipes de l’IFPPC et de Health United de l’organisation de ce Colloque, et merci au CNAM et la Chaire Santé Intégrative d’avoir permis ces rencontres.
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Si vous souhaitez modifier ou corriger vos citations, cela est bien sûr possible, je vous invite à me contacter.
Si vous souhaitez compléter cette publication avec d’autres éléments qui vous ont marqué-e-s, n'hésitez pas à commenter ci-dessous.
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« Quand on traverse l’épreuve du cancer, ce qui est touché est de l’ordre de l’existentiel »
Le Dr Alain Toledano est président de l’Institut Rafaël, centre de santé intégrative qui accompagne gratuitement les patients et leurs aidants pendant et après le cancer. Lors d’une table ronde dédiée à l’oncologie intégrative, il explique que la prise en charge globale et personnalisée proposée à l’Institut Rafaël a pour intention de « passer d’une médecine centrée sur la maladie à une médecine centrée sur l’individu et son projet de vie ». Une vision qui permet à la personne accompagnée de sortir un temps de sa condition de malade et de trouver des ressources pour construire un avenir qui compose avec cette maladie.
Dans cette même table ronde, le Dr Jean-Loup Mouysset, fondateur des Centres Ressources, aborde beaucoup l’aspect psychologique en cancérologie et évoque souvent les travaux du Dr David Spiegel, considéré comme l’un des deux référents mondiaux en psycho-oncologie, avec le Dr Barbara Andersen. Il précise également qu’il n’y a pas seulement la dimension psychologique qui est impactée : « Quand on traverse l’épreuve du cancer, ce qui est touché est de l’ordre de l’existentiel ». Les personnes souffrant ou ayant souffert cancer font face à des problématiques de couple, familiales, sociales, économiques, spirituelles, de sens, en plus de l’aspect physique. Aussi, « l’approche doit être globale », rappelle-t-il. Dans ses propos, il introduit la discipline de la psycho-neuro-endocrino-immunologie qui rappelle que le corps n'est pas morcelé, mais relié au psychisme, lui-même au système endocrinien, au système immunitaire et que tout cela peut impacter l'évolution de la maladie. Une vision que j'ai découverte pour la première fois lors de ma formation en naturopathie, et que l'on évoque souvent dans cette discipline.
On le voit dans ces deux prises de parole, l’approche intégrative a toute sa place dans l’accompagnement en cancérologie : le-la patient-e est malade, mais il-elle n’est pas que malade ; sa maladie a un impact sur tous les aspects de sa vie, mais il-elle n’est pas sa maladie. La prise en charge holistique des patients permet non seulement d’agir sur le corps physique mais aussi d’avoir des bénéfices considérables sur les corps émotionnel, mental et social, avec l’effet d’augmenter grandement l’espérance de vie. Le Dr Jean-Loup Mouysset déclare que, avec une approche mettant le-la patient-e au centre et combinant le meilleur des approches de santé, la tolérance des traitements est améliorée, les comportements en faveur de la santé sont favorisés, la gestion du stress est meilleure, l’espoir est davantage présent, et la mise en lien permet de rompre l’isolement. « Une santé qui intègre tout cela a un potentiel énorme », résume-t-il.
Dans les Centres Ressources, deux types programmes sont mis en œuvre depuis plus de 10 ans : si le programme Mieux-Être permet aux personnes accompagnées d’acquérir des outils, de bénéficier d’activités pour développer « un Autre Regard sur le cancer » et de donner de l’espoir, le Programme Personnalisé d’Accompagnement Thérapeutique a pour intention de donner des atouts supplémentaires avec un programme cognitivo-comportemental mené sur le long-terme par le Dr Jean-Loup Mouysset et une équipe de psychologues et psychothérapeutes. À propos de l’alliance de la médecine conventionnelle et des pratiques et disciplines complémentaires, le Dr Alain Toledano déclare à ce titre qu’« il n’y a pas de médecine sacrée : ce qui est important, c’est la manière de s’inscrire dans un collectif dont l’épanouissement va conditionner l’épanouissement des individus ».
*En cancérologie, l’approche globale mettant au centre le patient a son propre mouvement, porté en France notamment par la Société Française d’Oncologie Intégrative. Le 17 novembre prochain se tiendra d’ailleurs le Colloque Oncologie intégrative : à vos agendas !*
« On avait déjà des réunions pluridisciplinaires, mais avec l'approche intégrative, on peut réfléchir à une démarche individuelle : c'est une pluridisciplinarité vivante »
Les initiatives en santé intégrative se multiplient dans de nombreux types de structures en France. En la matière, on mène par l’exemple. Et l’expérimentation, vivante, de ce qu’est l’approche intégrative permet d’inspirer et de répliquer des modèles, ou en tout cas, d’apprendre sur ce qui est perfectible dans sa propre démarche. La table ronde dédiée au leadership dans la santé intégrative a réuni des intervenantes qui ont témoigné de la manière dont l’approche intégrative a été menée dans leurs projets respectifs.
Laurie Mathay, du Centre de Réhabilitation du Château de Colpach – Croix Rouge au Luxembourg, établissement hospitalier spécialisé, évoque notamment l’organisation d’une sensibilisation à la santé intégrative auprès de tout le personnel. Les deux services qui composent ce centre, celui de Réhabilitation Physique et celui de Réhabilitation Post-Oncologique, permettent entre autres bénéfices une mutualisation des forces et une amélioration de la qualité de vie du patient grâce à des programmes personnalisés. Dans cette démarche, le patient est considéré comme un véritable « partenaire », et comme il a été dit à quelques reprises au cours du Colloque, on peut parfois penser le « patient » non pas au centre de l’approche mais aux côtés des soignant-e-s et des praticien-ne-s de santé, comme un véritable acteur dans la relation thérapeutique. Laurie Mathay aborde également le concept de la « salutogénèse », une vision de la génération de la santé que je trouve particulièrement intéressante car elle est également au cœur de la démarche naturopathique et de la démarche narrative. La salutogénèse est une approche qui accorde une place plus importante aux facteurs de vie et de santé chez les personnes accompagnées, et qui les invite à se reconnecter à leurs propres ressources, à favoriser des comportements qui concourent à leur santé, sans pour autant négliger, évidemment, le traitement de la maladie. En ce sens, la « salutogénèse » est une vision et une approche de la santé qui a toute sa place et est parfaitement compatible avec la médecine intégrative. Je reviendrai sur ce sujet dans un prochain article.
Le Dr Pascale Wehr, coordinatrice et prescriptrice au sein de l’EHPAD Abrapa à Hoeneim, partage également son expérience dans cet établissement dont le modèle est celui de l’association privée non lucrative. Pour elle, l’accompagnement des patient-e-s de l’EHPAD implique notamment d’accompagner des personnes qui sont en deuil de leurs capacités cognitives et physiques. « La mort fait partie du quotidien, mais on est un lieu de vie », déclare-t-elle. Dans ce lieu, les soignant-e-s sont également considéré-e-s comme des ouvriers du soin : ils-elles ont besoin de soutien car sont dans un soin relationnel du matin au soir. Au fur et à mesure des besoins identifiés par les patient-e-s et les soignant-e-s, l’équipe a intégré des pratiques complémentaires, qui sont même utilisées par les soignant-e-s entre eux-elles. Une façon de construire des équipes polyvalentes et formées, et de répondre au besoin d'une dynamique et d'une intelligence collective. Elle ajoute d’ailleurs : « On avait déjà des réunions pluridisciplinaires, mais avec l'approche intégrative, on peut réfléchir à une démarche individuelle. C'est une pluridisciplinarité vivante ».
Au sein de l’Institut Rafaël, près de 90 soignants sont réunis et 40 disciplines sont représentées autour de 5 axes de prise en charge et des parcours ciblés, notamment en nutrition, activité physique, émotions, bien-être et retour à l’emploi. L’intégration de plusieurs pratiques et disciplines, comme la méditation, le yoga, la naturopathie, l’homéopathie, l’art-thérapie etc. permet de constater, dans les résultats des accompagnements, de nombreux bienfaits et notamment une diminution de la fatigue généralisée, un amoindrissement des douleurs articulaires et musculaires et une baisse du sentiment d’isolement. Lorsqu’Aurore Deligny prend la parole pour donner des éléments contextuels autour de la santé et évoquer les actions menées par l’Institut Rafaël, elle affirme que l’allègement du poids des maladies chroniques devient une priorité et qu’il est essentiel d’accorder une attention à la qualité de vie du patient. Sur 168 milliards d’euros dépensés par l'Assurance Maladie en 2020, 104 milliards étaient consacrés aux pathologies et traitements chroniques, rappelle-t-elle. Si l’Institut Rafaël a commencé avec l’oncologie intégrative, ce centre mène aussi un projet pilote sur l’accompagnement des maladies chroniques. « On a un grand besoin d’une approche d’ensemble ; sur le milliard de consultations chaque année en France, 50% sont menées pour gérer les symptômes de maladies chroniques. […] Ce mouvement nécessite une posture de complémentarité », conclut-elle.
« L'art est un langage universel, il promeut la diversité dans l'unité, répond à nos besoins de partager, inspirer et transformer »
Dans le premier volet de la série d’articles sur le Colloque Santé intégrative, j’évoquais la prescription sociale comme un parcours combinant l’approche médicale et l’approche sociale dans l’accompagnement des patients. Dans ce modèle, les communautés, les pratiques exercées et les services locaux sont autant de solutions pour permettre aux patients de sortir de l’isolement, trouver des ressources, des appuis et du soutien à leurs problématiques sociales et sociétales, qui s’ajoutent généralement aux problématiques médicales.
À travers cette prescription sociale, il s’agit ainsi de combler l’écart entre les soins cliniques et sociaux en aiguillant des patients vers des services locaux non-cliniques, choisis selon leurs champs d’intérêt, leurs objectifs et leurs forces, et de démédicaliser la prestation des services de santé, pour reprendre la définition de ce modèle par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dans ce cadre, l’art sous toutes ses dimensions a donc sa place. Et les témoignages des intervenantes sur les liens entre art et santé lors du Colloque ne font que confirmer ses bénéfices dans l’accompagnement des patient-e-s.
Scientifique et artiste, Isabelle Wachsmuth travaille au sein de l’OMS dans le département en charge des soins et services intégrés de santé. Sa fibre artistique couplée à son engagement professionnel la conduisent à mener des initiatives internationales favorisant la promotion du lien entre art et santé, tout en communiquant sur les Objectifs du développement durable (ODD), et donc aussi sur les déterminants sociaux de la santé. Grâce à l’incubateur qu’elle a créé et les projets menés, elle introduit l’art et la culture dans l’environnement hospitalier, en tant que stratégie innovante pour promouvoir la santé pour tous. Cela passe notamment par le soutien des initiatives artistiques des autorités sanitaires nationales et l’utilisation de l’art pour humaniser les services de santé, avec les patients au centre des approches.
Isabelle Wachsmuth rappelle volontiers que l’OMS a établi un nombre de recommandations pour promouvoir la place de l’art dans les politiques de santé, parmi lesquelles :
inclure les arts dans la formation des professionnels de santé ;
introduire ou renforcer les mécanismes par lesquels les établissements de santé prescrivent des programmes ou des activités artistiques ; ou encore
investir sur des études supplémentaires portant sur un recours accru à des interventions sur l’art et la santé et sur l’évaluation de ces dernières.
Pour Isabelle Wachsmuth, l’art permet de transcender les cultures et devient un moyen pour la construction collective, la cocréation, pour dépasser ce qui divise et pour renforcer ce qui rassemble. Car à travers l’art, « on se retrouve alors sur des dimensions purement humaines ». Convaincue que l’art et la culture sont compatibles avec les missions de soin et de santé, elle conclut sur cette note inspirante et engagée : « L'art est un langage universel, n’a pas de frontière, promeut la diversité dans l'unité et répond à nos besoins de partager, inspirer et transformer ».
Le Dr Aïcha N'Doye, médecin spécialisée en chirurgie du sein et chirurgie gynécologique à la Polyclinique Bordeaux Nord, a magnifiquement illustré cette conclusion lors du Colloque. Elle a offert à l’auditoire un moment de grâce en livrant une interprétation de Feeling good de Nina Simone, telle qu’elle le propose à ses patients lorsqu’ils se préparent pour une intervention chirurgicale. Devenue virale sur les réseaux sociaux et dans les médias, le Dr Aïcha N'Doye explique que passer par le chant lui permet d’apaiser la personne : en un instant, grâce à la connexion par le regard et la voix, l’attention est focalisée et la préparation à l’opération se fait de façon douce et harmonieuse. Le succès et la réussite auprès des patients anxieux et stressés incitent aujourd’hui ses confrères et consœurs à la solliciter davantage lors des anesthésies, des césariennes et en consultations de temps en temps.
Le témoignage de Lucile Chombart de Lauwe confirme également le rôle de l’art dans sa réponse au besoin de partager, inspirer et transformer. Sa passion pour l’art photographique et pour les métiers du soin l’ont amenée à nouer des liens entre ces deux domaines. Par différents projets menés, en montant par exemple des ateliers photos dans des structures de soin, elle a réussi à faire de la photographie « un support de soin, une aide et en même temps un outil de mise en lien des patients entre eux », permettant de « se remémorer des instants de vie, de générer des discussions, de créer des groupes de patients et des espaces de paroles, pleins de bienveillance ».
Enfin, praticienne de shiatsu, artiste visuelle et danseuse, Juliette Baigné parvient à faire dans toutes ses réalisations artistiques le pont entre la santé, la notion de mouvement et celle d’équilibre.
« La médecine intégrative se met des barrières d'exigence que n'a pas la médecine conventionnelle »
Dans le premier volet de la série, j’abordais l’importance de la recherche et de l’évaluation dans la médecine intégrative. La démonstration de l’efficience des pratiques de santé complémentaires est en effet essentielle. Au fond, la question est véritablement de savoir comment, en tant que praticien-ne-s de santé, nous pouvons nous assurer de nous donner les meilleurs moyens – et les plus sûrs – d’accompagner les patients et clients, au service de leur bien-être. Tout ceci dans un système de santé contraint par les ressources et le temps, particulièrement pour les médecins, comme beaucoup l’ont dit durant ce Colloque. Pour certains acteurs du domaine de la santé, même si le digital et le modèle des start-ups ne sont pas la solution à toutes les problématiques du secteur, ils peuvent permettre d’y répondre en partie. Et c’est à l’occasion d’une table-ronde dédiée à la place des start-ups dans la santé intégrative que ces acteurs ont pris la parole.
Jean-Marc Durand, par exemple, présente la solution Kayla Pro, une application qui répertorie, évalue et restitue les connaissances scientifiques disponibles sur tous les outils, techniques et approches de la santé : nutrition, micronutrition, probiotiques, phyto- et aromathérapie, physiothérapie, thérapies manuelles, approches corps-esprit, interventions psychosociales, thérapies brèves, activité physique adaptée, approches naturopathiques, etc. Toutes celles ayant fait l’objet d’études cliniques trouvent leur place.
Je suis ravi d’entendre le Dr Guillaume Bonnaud évoquer le trépied du vivant, qui, pour lui, repose sur (1) la nutrition, (2) le mouvement et la forme physique, et (3) la régulation des émotions et du psycho-émotionnel : ce triptyque correspond également aux trois techniques majeures utilisées dans l’accompagnement naturopathique, comme on l’oublie parfois. Il affirme : « Quand on s’occupe de ce trépied de façon liée, sans les dissocier et sans les mettre en silos, cela permet d’accroître la résilience, la confiance en soi, le lien social ». Le Dr Guillaume Bonnaud, lui, présente l’application DocLivi, une plateforme informationnelle qui est centrée sur ce fameux trépied du vivant et qui a pour but d’emmener le-la patient-e dans une démarche santé pleine d’engagement, pour lui rendre son autonomie. Là aussi, toutes les recommandations sont basées sur des preuves scientifiques, tangibles.
Sur le modèle des start-ups, Alexandre Celestin livre une présentation de Human First, le premier modèle de label en santé intégrative en France. Son intention ? Contribuer à structurer et promouvoir la santé intégrative en France, et surtout permettre aux patient-e-s et professionnel-le-s de la santé d’identifier des structures de soins et des praticien-ne-s proposant des parcours de soins et de prévention en santé intégrative de qualité. Suivant des critères bien définis (modèle de la certification de la Haute autorité de santé) et un parcours bien déterminé, Human First peut labelliser les établissements de santé, les services hospitaliers, les structures et réseaux de santé, les praticiens de santé, et depuis 2023, des pharmacies.
Des solutions, donc, digitales ou non, qui permettent de sécuriser et d’assurer la qualité de soin intégratif des praticiens de santé et des structures de soins, sur divers aspects de leurs démarches et de leurs pratiques. Le Dr Guillaume Bonnaud déclare non sans amusement qu’avec ce label et toutes les initiatives menées, « la médecine intégrative se met des barrières d'exigence que n'a pas la médecine conventionnelle ».
« Prendre soin de soi, prendre soin du Monde »
Cette table ronde, animée par Florian Petitjean, pharmacien, fondateur d’Olisma - laboratoire et marque de santé intégrative, et également cofondateur d’Allié Santé et représentant des pharmaciens dans la santé intégrative, est certainement l’une des tables-rondes qui m’aura le plus marqué au cours de ces deux jours de Colloque sur la santé intégrative. Il était important pour moi de voir la dimension écologique incluse dans la vision de la santé, et l’on y parle en effet de « prendre soin de soi et de prendre soin du Monde ».
En naturopathie, on parle d’approche holistique car l’on suppose que l’être humain, dans l’entièreté qui le caractérise, peut s’exprimer sur différents plans : (1) le plan physique ou corporel, (2) le plan énergétique, commun à de nombreuses approches traditionnelles de santé, (3) le plan émotionnel, (4) le plan mental, (5) le plan spirituel, et enfin, les plans (6) socioculturel et (7) éco-planétaire. Ces « 7 plans de l’être » trouvent leur complétude dans le fait qu’ils intègrent l’être humain au monde vivant qui l’entoure, et cette table ronde a parfaitement illustré l’importance de considérer l’être humain comme faisant partie d’un tout, plus grand que lui, et comme un être relationnel.
Le Dr Véronique Mondain est infectiologue, responsable de l'Unité de Médecine Intégrative du CHU de Nice et membre de l'OMCNC (Observatoire des médecines complémentaires non conventionnelles). À l’occasion de cette table ronde, elle prend la parole et affirme qu’il est important de porter aujourd’hui un autre regard sur le soin et que l’enseignement en médecine doit comporter cette vision globale. Pour elle, au cours des 40 dernières années, la science a mis en lumière le fait que l’installation de toutes les pathologies chroniques passent par un certain nombre de modifications communes à toutes les infections, ceci grâce à 4 découvertes majeures :
L’importance de la qualité du microbiote : nous sommes des êtres vivants qui vivons en synergie avec tout un monde (bactérien, viral, fongique, parasitaire) : il faut l'accepter et il est fondamental de « le protéger comme un élément du soi ».
L’impact de l’épigénétique : notre environnement modifie notre capital génétique en permettant l’expression ou la non-expression de nos gènes – 10% de nos maladies sont d’origine génétique mais pour tout le reste, nous avons un pouvoir dessus à travers l’hygiène de vie (notamment alimentation, mouvement, gestion du psycho-émotionnel – on revient sur le « trépied du vivant » du Dr Guillaume Bonnaud et sur les techniques majeures de la naturopathie)
L’inflammation de bas grade : les effets d’un microbiote pauvre et déséquilibré associés à une épigénétique peu favorable à la santé induisent des modifications dans notre organisme qui vont être le processus initial de toute maladie et d’une inflammation de bas grade. Cette inflammation va s’exprimer dans un organe ou dans un autre, avant de silencieusement mettre en place au bout de quelques années des maladies chroniques.
L’axe psycho-neuro-endocrino-immunologique : comme le Dr Jean-Loup Mouysset l’évoquait lors de la table ronde sur l’oncologie intégrative, le Dr Véronique Mondain estime que c’est un axe fondamental. Elle précise que nos interactions émotionnelles agissent sur toutes les autres composantes du corps, et que toute maladie a donc une composante psychosomatique. « Il faut s'adresser en tant que médecins à cette partie psychosomatique si on veut aider le patient à guérir », dit-elle, tout en ajoutant que cette vision, qui date pourtant de 1977, est encore trop peu répandue dans le milieu médical.
Pour le Dr Véronique Mondain, « quand on comprend ces 4 grandes découvertes, on a compris le processus physio-pathologique de l’ensemble des maladies chroniques ». Elle ajoute : « Si on apprend la médecine de cette façon à nos étudiants, en leur expliquant qu’il est nécessaire de faire en sorte que l’ensemble de ces composantes aillent mieux, toutes les personnes souffrant maladies chroniques pourront en bénéficier ».
Sa spécialisation en infectiologie l’amène à ajouter une dernière idée à ses propos : la santé humaine est liée à la santé animale et la santé des écosystèmes. Cette approche, que l’on appelle One Health, permet d’appréhender le fait que nous sommes tous liés en tant qu’êtres vivants : on ne parle plus d'un niveau d'intégration individuelle mais d’une intégration collective, en incluant l'environnement dans notre santé. En cela, la médecine intégrative et la médecine environnementale, qui est primordiale aujourd’hui, se rejoignent.
C’est cette vision globale de la santé et de la médecine qui a incité le Dr Véronique Mondain, Florian Petitjean et d’autres membres de l’Alliance pour une santé intégrative à démarrer un travail collectif pour mieux faire connaître cette approche, tout en donnant une base de réflexion sur la manière de faire de la prévention et du soin. Le résultat : un poster puis un article, publié dans la revue Hegel en juin 2023 sur le lien entre la santé humaine et la santé planétaire, pour affirmer que « la médecine intégrative est aussi une démarche qui dépasse les seuls enjeux individuels ».
Sensible à l’écologie et fort de la volonté de faire évoluer les pratiques du care, Florian Petitjean a posé en introduction de la table ronde la question suivante : comment peut-on étendre la définition de la médecine intégrative à ce qui est plus grand que soi, au monde du Vivant, à la Nature ? En quoi et comment la médecine intégrative peut-elle répondre aux enjeux actuels ? Si on a longtemps parlé de la médecine des 4 P (personnalisée, préventive, prédictive et participative), puis des 6 P (en ajoutant pertinente et pluriprofessionnelle), aux yeux de Florian Petitjean, il est difficile d’avoir une vision individuelle de la santé sans l’intégrer dans cette dimension planétaire et il est important d’aller encore plus loin. Il introduit donc la médecine des 7 P, avec l’idée que la médecine intégrative peut être considérée comme une évolution des 6 P en y intégrant le P de Planète.
Ainsi, si le CUMIC définit la médecine intégrative comme l’association des médecines conventionnelles et complémentaires sur une approche scientifique validée, centrée sur le patient avec une vision pluridisciplinaire, Florian Petitjean souhaite y ajouter que le glissement de la notion de médecine intégrative à celle de santé intégrative se traduit par une démarche qui permet à chacun d’intégrer dans son quotidien des pratiques de santé de manière autonome pour prévenir et prendre soin dans le respect des personnes et de la planète.
Florian Petitjean rappelle également que la grande majorité des pratiques de santé complémentaires sont globalement héritées de médecines traditionnelles. Que l’on parle de la médecine traditionnelle chinoise, de la médecine ayurvédique, de la naturopathie ou encore du thermalisme, elles intègrent toutes, depuis leurs débuts, cette vision globale, avec un placement de l’individu dans un écosystème qui est celui de la nature au sens large. « Il faut tirer cette richesse de leur enseignement pour intégrer cette approche dans la médecine moderne », ajoute-t-il. D’ailleurs, il estime que la notion de santé globale est une vraie notion qu’on confond souvent avec la prise en charge de la personne dans sa globalité corps-coeur-tête : la santé globale est une approche holistique de la santé d’une population dans un contexte mondial. En somme : des personnes en bonne santé, dans une société en bonne santé et sur une planète en bonne santé.
Le Dr Véronique Mondain ajoute à ces propos une dernière dimension tout aussi importante : l’impact écologique de la médecine et de la santé. Le rapport du Shift Project « Comment décarboner la santé en soignant durablement ? » auquel elle fait référence a montré que le secteur de la santé est responsable de 8% des émissions de gaz à effet de serre de la France, soit près de 50 millions de tonnes de CO2. « De façon urgente, il faut se poser la question de comment soigner sans utiliser des ressources carbonées, car, à ce jour, nous avons déjà dépassé 6 limites planétaires sur les 9. La médecine intégrative, elle, n’a pas besoin de ressources carbonées ; elle a besoin d’une énergie totalement renouvelable : celle du cerveau et celle du cœur, et avec cela, nous allons pouvoir donner aux patients des conseils, faire de la prévention et les orienter vers des choses simples », conclut-elle.
L’intégration de la médecine dans les limites planétaires est donc un défi, et la médecine intégrative peut être une des réponses. Florian Petitjean assure : « La médecine et la santé intégrative permettent d’améliorer la santé globale en participant à la décarbonation de la santé, en réduisant les coûts liés à la sur-médication, la iatrogénie, la pollution liée aux cycles des médicaments et à l’utilisation abusive des examens complémentaires et des technologies de pointe. En cela, la médecine intégrative semble donc répondre aux enjeux actuels et à venir. »
Deux initiatives défendant une vision intégrée du monde sont données en exemple pour illustrer les liens entre la santé individuelle, la santé collective et la santé planétaire :
Sarah Toumi travaille au sein de l'Organisation des Nations-Unies sur la lutte contre la désertification, et plus particulièrement sur le projet Great Green Wall Accelerator (Accélérateur de la Grande Muraille Verte). Un projet ambitieux, qui vise à restaurer 100 millions d’hectares de terres, créer 10 millions d’emplois et séquestrer 250 millions de tonnes de carbone, en Afrique subsaharienne, du Sénégal jusqu’à Djibouti. Elle déclare : « Quand on parle de santé intégrative, c’est important de prendre en compte l’environnement, la question de la nature et la préservation des écosystèmes. Car nous vivons sur la Terre, nous vivons de la terre, nous nous habillons et nous chauffons grâce à la Terre. Et si cette Terre est malade, on comprend qu’il y a de plus en plus de maladies qui nous touchent. »
Timothée Paris, maître des requêtes au sein du Conseil d’État, a créé indépendamment de son rôle dans la haute fonction publique, le Lab.world, un Nature-Lab du monde de demain sur un domaine de 20 hectares destiné à expérimenter et diffuser les solutions techniques et technologiques environnementales les plus efficientes.
Je vous donne rendez-vous très bientôt pour la suite et fin de cette série d'articles :) Dans le 3e et dernier volet, on abordera l’inflammation de bas grade, la place de la pharmacie dans la santé intégrative, les pratiques complémentaires et la démarche intégrative dans l’accompagnement psychologique.
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